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La méthode André Lemaitre

André Lemaitre ne copie pas la nature, il la réinvente. Comment peint-il ?
En larges touches verticales, horizontales ou obliques, Lemaitre construit son tableau sans dessin, sans détail. Les plans donnent l'étendue, les verticales la profondeur et la couleur, la forme.
En larges touches, il suggère une rivière, une mare, une maison, un arbre, une pomme.
En larges touches, viriles, vibrantes et vibratoires, souvent abstraites, il traduit des sentiments intraduisibles par les mots ou par la plume.
André Lemaitre exprime la beauté de la Nature, la brièveté de la vie dans une poésie de couleurs rares.

Soir au bord de la Muance blanc Chemin creux enneigé
Soir au bord de la Muance 1980
61x81cm Musée de Falaise
Chemin creux enneigé 1978
73x92cm Musée de Caen

Les sombritudes

Mais il y a des sombritudes. Lemaitre avait 7 ans quand il a appris que son père venait d'être tué à Verdun, 2 gendarmes sont venus à la maison à Falaise et ont tendu à Mme Lemaitre le pli tant redouté : "mort pour la France", il va porter le deuil de son père toute sa vie.
Ce n'est que plus tard qu'il va mettre dans sa peinture ce côté sombre et tragique de sa vie.
Il va le traduire dans les fonds de ses tableaux, dans des couleurs fortes et graves, sombres et contrastées que j'appelle : les sombritudes.
En larges touches il y emprisonne une certaine épaisseur du temps, faite d'émotions, de souvenirs, de deuils et de douleurs...
Dans les sombritudes, Lemaitre exprime ses états d'âme, sa révolte contre les injustices, contre les côtés sombres et tragiques de la vie.
Les sombritudes sont pour lui des exutoires, des échappatoires qui le libèrent, qui le soulagent.
On y aperçoit parfois un coup de pinceau rageur, comme si un "gros mot" lui échappait...
Saint-Just le révolutionnaire a dit : "Le gros mot est une réponse à la soumission !"
Dans tous les cas dans les sombritudes aussi, le visible cache l'invisible ; avec même souvent une poésie de couleurs rares...

La Muance à Airan
La Muance à Airan 1977 73x92cm

En larges touches, Lemaitre construit son tableau sans dessin, sans détail. Elle est là sa modernité.
Le public aime les sucreries, André Lemaitre lui propose sa franchise rugueuse, ses sujets impossibles, sont art de Musée qui fait la grande peinture.

Les peintres italiens de la Renaissance ajoutaient un crâne à leurs natures mortes faites d'objets les plus fastueux et de fruits les plus capiteux.
Pourquoi un élément aussi attristant dans un tableau aussi somptueux ?
Parce que le crâne nous ramène à la réalité de la vie. Le philosophe nous dit : "naître c'est disparaître."
Et le crâne nous dit : "j'étais ce que vous êtes, vous serez ce que je suis."
Ces tableaux étaient appelés les vanités (la vanité est un pêché d'orgueil).
Les anciens ajoutaient un crâne, Lemaitre ajoute des sombritudes.

Il y a là un mystère à méditer. Il y a la vie, la mort (inséparables) et la vie éternelle mais pour la mériter, le crâne vous dit : "fais en sorte que ta vie ne soit pas vaine et futile", d'où le mot de Vanités.

Bord du Thar Cairon Plage
Bord du Thar Cairon Plage 1986
73x92cm

C'est l'ancien Conservateur en chef du Musée de Caen, Alain Tapié qui en parle le mieux et que dit-il ?
"On croit connaître la peinture de Lemaitre, mais on ne la connaît pas. Pourquoi ?
Parce que nous sommes obnubilés par le sujet alors que pour Lemaitre, le sujet ne compte pas, il n'est qu'un prétexte.
Ce qui compte, c'est la capacité de l'oeil et du pinceau de faire du sujet et des choses, de la peinture, sans qu'ils aient été autre chose que de la peinture.
En oubliant leur propre réalité..."

C'est ce qu'il appelle : "la peinture peinture".

La mare de Bissières blanc Le poirier dans le pré
La mare de Bissières 1969
73x92cm
Le poirier dans le pré 1980
60x73cm